Photos F.Lépissier
 Texte Agnès BECKER

Le pays Dogon

Références : "l'architecture Dogon, constructions en terre au Mali" de Wolfgang Lauber aux éditons ADAM-BIRO.

En plein cœur du Mali, le pays Dogon s'étend entre la moitié Nord Sahara-Sahélienne et la moitié Sud baignée par les fleuves Niger et Sénégal. Cette région extraordinaire, au Sud-Ouest exactement de la boucle du Niger, fait partie de la région administrative de Mopti, 5ème région du Mali. On évalue la population en pays Dogon à environ 450 000 habitants, soit en tout 5% de la population malienne. Ignoré des historiens pendant des décennies, le pays Dogon n'a été véritablement étudié que par la mission ethnologique du professeur Marcel Griaule en 1931. Depuis ce temps, des vagues régulières de touristes se succèdent pour visiter le site, coupé du reste du Mali par sa situation géographique incroyable et par son immensité. Majestueux, le pays Dogon s'élève chaotiquement depuis les basses terres de Macina jusqu'à Sangha, où il forme un pic qui domine de plusieurs centaines de mètres la plaine des pays voltaïques.

Les célèbres falaises de Bandiagara étant inscrites depuis 1989 au patrimoine mondial de l'Unesco, au titre de bien "mixte" à la fois culturel et matériel, toute la beauté de ses flans donne au pays Dogon et à ses habitants la légitimité de nos visites. Villages fortifiés, concessions, maisons des ancêtres ou maisons des hommes, greniers, habitations troglodytiques, toute l'architecture Dogon témoigne d'une maîtrise technique étonnante et d'une remarquable adaptation aux exigences du terrain et du climat.

D'après une étude menée par l'équipe de Wolfgang Lauber dans son livre sur "l'architecture Dogon, constructions en terre au Mali" aux éditons ADAM-BIRO, des menaces réelles pèsent toutefois sur ce patrimoine. L'altération de l'environnement naturel, du fait de l'impact de l'organisation de l'espace urbain et rural, provoque une perte significative de l'authenticité historique et une dénaturation progressive de la signification culturelle. Ces menaces peuvent être des critères suffisants pour qu'un bien soit inscrit sur la liste du "patrimoine mondial en péril" de l'Unesco. Chaque acte sanitaire et social apporté à ce pays par nos organisations humanitaires pose encore une fois la question de la valeur de nos actions de développement face à la construction parfois précaire mais toujours viable de leur mode de vie.

Géographiquement le pays Dogon est composé de trois parties distinctes qui sont la falaise de Bandiagara, et de part et d'autre le plateau et la plaine. La falaise haute de 300 à 600 mètres est faite d'une paroi abrupte, coupée de failles et dont la base est couverte d'éboulis, chaos rocheux incultivables à l'exception de quelques petites parcelles de champs. Le plateau en haut de la falaise est une région difficile d'accès et les villages qui la compose comptent un nombre très limité de familles. Du fait de leurs surfaces cultivables réduites et très éparpillées. La plaine quant à elle s'étend vers l'Est jusqu'au Burkina Faso. Les Dogon y sont installés en masse, étant moins isolés ils peuvent vivre raisonnablement du commerce entre le Burkina Faso et les villages à l'intérieur des terres.

Dans ce pays haut en couleurs et en chaleur humaine, un étrange mélange, fait de traditions millénaires et de folklore touristique, rythme les journées de ce peuple installé ici par vagues successives depuis le courant du XIVème siècle. Après avoir chassés progressivement le premier peuple de pygmées, les Tellem, installés avant eux dans la plaine, les Dogon sont responsables de leur retranchement dans de minuscules maisons accolées à la falaise, puis de leur fuite vers des terres plus intérieures et encore fertiles en arbres fruitiers. Les habitations, telles des micro cases collées à flan de falaise, laissées à l'abandon par le peuple des Tellem, sont encore emplies d'objets de la vie quotidienne qui n'attendent que le retour de leur habitants pour se remettre à vivre.

Comme la plupart des pays d'Afrique, le Mali possède de nombreux groupes ethniques que l'on répartit généralement en nomades et sédentaires. Les nomades, Touaregs, Maure et Peul sont en voie de sédentarisation depuis la grande sécheresse de 1970. Les peuples sédentaires quant à eux, sont classés en trois groupes. Le groupe mandingue fait de Bambara de Malinké et de Dioula. Le groupe soudanais dont font parti les Dogon, les Saracollé, les Souraï et les pécheurs Bozo. Et le groupe voltaïque composé de Sénoufo, de Minianka, de Bobo et de Mossi. Le pays Dogon est en majorité entouré par les Peuls, éleveurs nomades avec qui beaucoup d'alliances se nouent, mais aussi par les agriculteurs Mossi et Bobo et par les pécheurs Bozo de la région de Mopti, véritables frères de cœur.

Les Dogon du Mali ont réussi à préserver jusqu'à aujourd'hui intacts leurs rites, leur art et leurs coutumes. Elément essentiel de cette culture, leur architecture de terre est un exemple rare d'habitat humain développé dans le plus parfait respect de son environnement. Villages après villages nous découvrons une véritable unité esthétique de constructions faites de terre, de banco (matériel de construction appelé "togo", préparé en ajoutant de l'eau à l'argile armée de brins de paille de mil, constituant ainsi les briques de terre séchée faites à la main) et de bois. Les greniers à céréales, nommés "go", sont omniprésents en véritables coffre forts pour les familles qui y engrangent le mil et les autres céréales, mais aussi parfois les bijoux et les quelques objets précieux signes de leur richesse. Ces greniers, sont en général surélevés, seul moyen d'isolation contre l'humidité pendant la saison des pluies, et recouverts d'un étrange chapeau de paille les protégeant des précipitations et des rayons du soleil. Dans chaque village, à forte dominance musulmane, la mosquée de terre séchée trône comme une petite maison de poupée calme et ordonnée, où la vie autour s'organise joyeusement. Une autre place forte, appelée "toguna" accueille en son antre, les hommes et les sages du village, venus là pour discuter et parlementer. En dix dialectes différents parfois, les hommes d'un même village peuvent aussi parler pendant certaines cérémonies et fêtes rituelles en langue secrète. Tout le mystère de ce peuple réside parfois dans ces petits détails exceptionnels.

Malheureusement, la culture des Dogon, solidement ancrée dans un mode de vie agricole et primitif, risque fort un jour de disparaître, menacée par des périodes de sécheresse de plus en plus longue rendant difficile la culture des céréales et autres végétaux. De plus, un accroissement très net de la population pousse les jeunes à partir vers les grandes villes. Les ressources qu'offre la terre étant limitées, ils rêvent d'un avenir meilleur et du confort de la société moderne.

(LE TOURISME)
L'opportunité de travailler en tant que guide touristique devient de plus en plus concrète grâce à la mise en place dans tout le Mali d'une terrible organisation pour le tourisme international. Organisation officielle ou organisation pirate, cette jeune génération de guides fleurit dans toutes les villes qui entourent le pays Dogon, allant même jusqu'à Bamako, la capitale. Mieux vaut se plier aux règles imposées par cette organisation, si l'on veut entrer au pays Dogon dans les meilleures conditions et se faire accepter par les chefs de villages, avec nos maigres offrandes, quelques noix de cola. Leur accueil est certes très chaleureux mais espérons que la venue encore plus massive de touristes ne gâte pas un jour ces gens purs, humbles et valeureux.

(LES RECOLTES)
L'année chez les Dogon commence lors de la récolte du mil, aux environs du mois d'octobre, lorsque les greniers sont remplis pour l'année, avant l'arrivée de l'hiver annonçant par la même occasion la saison touristique. Le mil constitue chez le peuple Dogon, et presque partout au Mali, la base de toute l'alimentation.
La seconde culture importante dans l'économie du pays Dogon est la culture du riz. Les autres cultures sont surtout des cultures d'appoint, qui ont lieue en même temps que celle du mil et plantées entre leurs pieds, pour les haricots, l'oseille et le raphia. A la différence des arachides et des pois de terre. Quelques villages cultivent aussi l'igname et d'autres tubercules.

(LES FETES ET RITUELS)
Les rituels en pays Dogon sont omniprésents, et celui de la mort tient dans la vie religieuse et spirituelle une place très importante. Le sigi, à l'origine, est la célébration du premier mort chez les hommes et les fibres des masques Dogon y sont directement liées. Cette fête se pratique tous les soixante ans environs, et se déroule à Yougo avant que le dernier homme ayant vécu le précédent sigi ne meure, afin d'initier ses successeurs. Le sigi est la fête du pardon de la faute des jeunes envers l'Ancêtre, et découle directement de l'apparition du premier mort. Le sigi consiste avant tout à renouveler la hiérarchie sociale et à renforcer les liens entre les villages. C'est aussi et surtout la fête de la paix entre les vivants et les morts et entre les jeunes et les vieux. Elle se déroule généralement vers le mois de février, dès que le mil germé a été mis dans l'eau pour confectionner la bière.

Les fêtes traditionnelles et rituelles découlent de la mythologie, et c'est le fondement même de la société et les bases de l'enseignement des traditions. On peut donc considérer le sigi comme le mode privilégié de transmission dans le pays Dogon.

Celui ci est complété par un enseignement plus personnel transmis à l'enfant par son père et son grand père. Le chef de famille dispense un enseignement aux hommes du clan lors de quatre fêtes différentes suivant les quatre saisons. Accompagné de son fils ou de son successeur, il rassemble les hommes la veille du sacrifice et transmet une partie de son savoir. Le reste étant transmis ensuite aux initiés choisis parmis les plus courageux et les plus emplis de sagesse.

Les femmes quant à elles reçoivent un enseignement par les vieilles femmes lors de retraites dans "la maison des femmes", portant surtout sur la vie quotidienne.

On peut donc dire que les rituels Dogon sont axés sur ce concept de transmission de la force vitale nécessaire à l'équilibre de la société et du monde, le Hogon (plus vieil homme du village) étant le gardien de la plus grande force.

Nous ne pouvons pas parler du pays Dogon, sans parler de circoncision et d'excision, qui par ce fait, bien souvent contesté, permet à un être de quitter l'enfance. Par groupe d'une dizaine d'enfants, âgés de 8 à 15 ans, la cérémonie se déroule en alternance entre filles et garçons, à des années différentes. Après ces deux cérémonies, le jeune garçon est admis dans la société des hommes tandis que la jeune fille est vue comme prête à se marier et à procréer une nouvelle génération.

(LA SCOLARITE)
Malgré un rythme de travail très stricte, dicté depuis des centaines d'années par des traditions fortes en pays Dogon, les familles actuelles se modernisent et intègrent maintenant la scolarité de leurs enfants dans leur mode de vie. Ainsi les écoles de langue française, langue officielle du pays, s'implantent peu à peu dans les villages. Il arrive que des missions ou des organismes français apportent les subventions et la main d'œuvre pour construire ces écoles, mais ce sont plus souvent les habitants qui assurent cette lourde tâche, retardant parfois la mise en place du réseau scolaire. Une école peut accueillir les enfants de plusieurs villages environnant, et il est parfois difficile de trouver un enseignant qui accepte d'aller travailler dans ces villages isolés. Même si l'école est obligatoire, on constate que tous les enfants ne la fréquentent pas. La raison est économique car l'enfant, dès son plus jeune âge, représente une force de travail dont certaines familles ne peuvent se passer. Les frais de scolarité, bien que minimes, ne peuvent être assurés par tous, et le français s'il est peu parlé, est encore moins lu et écrit. Malgré le sérieux et la sévérité des maîtres d'école, nous constatons que la scolarité en pays Dogon joue plus un rôle de symbole social que de véritable enseignement. Seule une poignée de jeunes élèves accéderont plus tard, si les revenus de leur parents le leur permettent, à un enseignement de plus grande qualité, dans les grandes villes voisines.

(L'ARTISANAT)
L'artisanat en pays Dogon, tient une grande place dans le mode de vie des femmes et plus souvent des hommes. Suivant leurs spécialités, les artisans gagnent plus ou moins en notoriété et en reconnaissance au sein du village.

Les tisserands, par exemple, sont toujours des hommes, et exercent leur art sur la place publique. Leur métier à tisser étant très rudimentaire, il permet de tisser d'étroites bandes de toiles, qui cousues les unes aux autres, formeront ensuite de grandes étoffes permettant de confectionner habits traditionnels et couvertures. Les bandes de coton tissées sont le plus souvent de teinte naturelle, mais il arrive que le tisserand travaille aussi des fils de couleurs et créé les motifs directement.

Il vend ensuite son tissu en rouleaux ou au mètre, à la femme du cordonnier qui s'occupe de les assembler et de les teindre. La principale teinture utilisée est l'indigo, qui constitue en majorité la couleur des habits traditionnels Dogon, même si les étoffes et les tissus des grandes villes modernes habillent de plus en plus les femmes. La technique du Bogolan est quant à elle utilisée pour tisser les couvertures et les habits plus rudimentaires des chasseurs. De texture épaisse, et de couleur terre, ocre et noire, sa matière noble rend ces tentures très prisées des commerçants décorateurs occidentaux.

Le cordonnier, tout comme le forgeron, vit dans un quartier à l'écart. Le boucher lui fournit ses peaux, qui sont tendues à même le sol pour sécher. Il en fabrique des sacs, des trousses, des étuis, des gaines, des sandales et des selles. Il travaille chez lui, avec un matériel rudimentaire, et certaines confections peuvent êtres ensuite teintes et décorées.

Le forgeron est le seul à travailler le métal et le bois. Il ne cultive pas la terre et est seul à pouvoir produire les outils et les armes nécessaires à la communauté ainsi que les statuettes et les ustensiles en bois. Ils forment avec les autres forgerons des villages voisins une grande confrérie et sont à la fois craints et méprisés par les autres habitants. Craints à cause des dons surnaturels que leurs prêtent les Dogon et méprisés parce qu'ils ne travaillent pas la terre. Comme le tisserand, un tabou contraint le forgeron à ne travailler que le jour sous peine d'amende.

La poterie est exécutée par les femmes, qui de part leur spécialisation, permet à un village d'être reconnu pour cet art. Les potières ne fabriquent qu'un seul modèle, sphérique avec une ouverture ronde plus ou moins grande à son sommet. La taille de cette pièce peut varier en fonction de l'utilisation prévue, de la grande jarre à eau contenant 40 à 50 litres, à la plus petite. Après avoir été séchée à l'ombre, les poteries, entourées de bois, de bouse de vache, de paille et de branchages, sont cuites toute une nuit dans un grand trou recouvert de pierres et de terre. La principale qualité des pots Dogon, est de garder l'eau très fraîche, alors que leur rusticité les rend très lourds à porter.

 

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